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Zebul 70 ans Saint Mary
La factrice et le légionnaire

la victime n’est pas toujours celle qu’on croit

Mon histoire, elle a un titre. Elle s’appelle La factrice et le légionnaire.

Alors, il faut savoir que j’habite un tout petit village de la Châtaigneraie avec une toute petite rue qui traverse, une petite route qui traverse le village et un tout petit carrefour avec une route encore plus petite qui descend chez mon voisin au Moulin. Et un matin, on était encore au lit. Très tôt, on entend un petit peu de remue-ménage dans le village. Habituellement, on entend que les coqs et les tracteurs le matin. Et là, on entendait du remue-ménage, mais avec un bruit très feutré. C’est-à-dire que les gens ne parlaient pas. On se rendait compte qu’il y avait du monde, mais ça ne parlait pas. Comme une foule muette. Même les portières de voiture, on les entendait pas. Donc, dès qu’on s’est levés, on est allés voir discrètement ce que c’était. En fait, il y avait des militaires qui avaient choisi notre village pour faire leur grande manœuvre. Donc il y avait des jeeps, des ambulances, on n’avait pas de char mais il y avait des camions de matériel et tout, autour de deux petits carrefours. Et bon on les a laissés faire, on n’allait pas intervenir mais après, bon vous saurez dans l’histoire que forcément je les ai rencontrés donc j’ai su qu’ils étaient là pour s’entraîner au rapatriement sanitaire. Donc il y avait une ambulance sans âge qui avait dû faire l’Indochine. Et l’Algérie, probablement, c’était un vieux camion Renault. Il n’y avait plus rien dedans. La tôle était à nu. Il y avait une civière en tôle aussi. C’est tout. Elle était garée devant la chapelle. Et de l’autre côté, il y avait une Jeep qui était en travers de la route, de telle façon que si quelqu’un arrivait, il était coincé dans le carrefour entre les trois véhicules. Le chef leur explique qu’ils vont dresser un guet-apens contre les méchants qui sont dans le village d’à côté, qui vont sûrement arriver. Alors les méchants, on les reconnaît, ils ont du rouge sur les joues, tandis que les gentils avaient du noir. Donc ils s’installent bien, camouflage et tout, le chef prend sans doute le plus bête des légionnaires et lui dit tu te camoufles, tu te caches là dans le bas côté et surtout tu ne bouges pas quoi qu’il arrive, tu ne bouges pas, tu dois les prendre par revers quand ils auront passé le carrefour.

Et qu’est ce qui arrive ? La factrice avec son kangoo jaune qui passe comme tous les jours et qui voit la jeep en travers de la route et la contourne donc soigneusement. De ce fait, elle met deux roues dans le bas côté et à ce moment là on entend un cri comme on entend qu’au cinéma, des gens qui crient aussi fort. Donc la pauvre, elle sort, moi j’accours en entendant le cri et je vois la factrice complètement désespérée, en larmes, paniquée et tout. Je la prends dans mes bras, ce qui n’était jamais arrivé jusque là et là, elle me dit : j’ai roulé sur un légionnaire. C’est vrai qu’il avait pas l’air en forme, le légionnaire. Et nous on rigolait pas sur le moment. Parce qu’on le croyait bel et bien mort quand même, il ne bougeait plus. Donc le légionnaire, ne bougeant plus, ils l’ont mis dans la civière, dans l’ambulance. À ce moment-là arrivent les méchants. Les méchants qui étaient un peu inquiets parce qu’ils se doutaient de ce qu’on leur préparait. Alors qu’en fait, personne n’était prêt. Tout le monde est sorti de sa cachette. Et la voisine, Lulu, notre vieille voisine qui a 80 ans, qui tout de suite, réflexe des montagnes, va chercher une plume, et devinez quoi ? Elle va chatouiller la plante de pied du mort pour vérifier.

Et elle revient toute contente, elle nous dit le verdict : il n’est pas mort. C’est à ce moment-là que les gendarmes arrivent, un grand monsieur tout maigre et une petite dame un peu rondelette. Le grand monsieur, c’est le chef qui dit à la gendarmette : « bah vous les faites souffler ». Donc elle va faire souffler la factrice et revient en disant c’est bon elle a pas bu et elle lui dit aussi que le légionnaire et bien il n’arrive pas à souffler dans le ballon. Voilà. Là-dessus, je dis au chef des militaires qui m’avait raconté qu’il lui avait imposé de rester dans le caniveau qu’il faut emmener le type à l’hôpital. Il me dit non, parce qu’on n’a pas l’autorisation, j’arrive pas à joindre mes supérieurs et on n’a pas le droit d’aller pendant le rapatriement sanitaire à l’hôpital. Il me dit qu’il n’avait pas le droit de demander une autre ambulance. Je lui dis, mais vous avez cette ambulance là ? En montrant le vieille guimbarde. Quand on voit l’ambulance qui datait des années 50, évidemment... On était au mois de novembre 2010. Donc finalement le légionnaire, il est là. En tous cas, il y a son corps, là. Dans l’ambulance. Et on l’a toujours pas entendu parler lui. Finalement, il part à l’hôpital avec la vieille ambulance. Bon, ils s’aperçoivent qu’ils ne savent pas où est l’hôpital d’Aurillac donc ils reviennent me le demander. Parce qu’ils n’avaient pas de GPS ! Ils partent à l’hôpital et voilà ça pourrait être la fin de l’histoire et en fait c’est pas la fin d’histoire. On apprend finalement que le légionnaire n’avait pas grand chose, il s’était fait juste un peu un peu écrasé la jambe mais il y avait rien de cassé. Donc c’était que musculaire et donc pas très grave. Par contre, c’est la factrice qui a été hospitalisée parce qu’elle a pas supporté le choc, le cri du type lui est revenu plusieurs fois. Et donc elle, elle est restée un temps à l’hôpital. En hôpital psychiatrique. La pauvre factrice.

Voilà. La victime n’est pas celle qu’on croit.