Paroles de travailleurs
Christian Ugolini. Ce travailleur sous-traitant, aujourd’hui devenu cinéaste,
était il y a encore trois ans un opérateur de tir radio jusqu’à ce que sa
participation à un film de Canal+ pousse ses employeurs à le licencier. Son
travail consistait à examiner les soudures des vannes et des tubes à l’aide de
sources radioactives au cobalt. Tandis qu’il nous montre les images classéessecret défense qu’il a tournées en secret sur la cuve du réacteur, il nous
raconte :
« On te demande de travailler sur du matos important pour la sûreté et on te
demande en même temps de signer ton rapport RAS même si y a un défaut.
Moi je peux en témoigner, ça m’est arrivé, on m’a mis la pression. Mais la
pression, ça veut dire quoi, j’suis sur un chantier à l’intérieur du bâtiment
réacteur, dans la salle des 4 as, là où il y a des grosses vannes, qui sont
pourries, ça pète de la mort, c’est bourré de becquerels et tout ce que tu
veux, c’est irradiant, contaminant, c’est dégueulasse, t’es obligé de porter
des tenues Muru.
Je détecte ce qui pourrait être une fissure, je dis merde. Les robinetiers y sont
tous la à côté en train d’attendre que j’ai fini pour rentrer chez eux, il est 5 h le
soir. Je refais le contrôle donc j’me prends une double dose. On annonce au
robinetier ben non ! On peut pas signer RAS.
Déconnez pas ! qu’ils disent, c’est pas une fissure.
Ben non, nous on est pro, on peut pas dire si c’est une fissure ou une rayure,
l’indication est bien là, on peut pas signer RAS.
Eh ! nous faut qu’on rentre, les chefs vont gueuler et tout, on est sensé avoir
fini, on doit faire autre chose après, on n’a pas le matériel de remplacement
vous savez bien, même si vous marquez qui a une fissure on va nous faire
remonter quand même le même robinet, quoi !
Nous on est obligé d’appeler nos chefs aussi qui nous demandent de refaire
le contrôle devant eux. Le chef de l’arrêt de tranche y veut pas entendre
parler de ça, y descend aussi. D’heure en heure on a refait 4 ou 5 fois le
contrôle donc j’me suis repris 4 ou 5 fois la dose, tu vois, mais ils font tous la
danse des sioux autour, y disent vous faites du zèle, y a pas de défaut. Alors y
en a qui s’entêtent comme moi, et qui disent : non ! j’signerai pas RAS,
sachant qui aura un autre collègue qui va refaire le contrôle qui va marquer
RAS mais bon y a des gens comme moi qui font leur boulot.
Que tu fasses partie de celui qui signe ou de celui qui signe pas RAS, tout le
monde sait bien qu’il y a des putains de problèmes là-dedans, tous les
travailleurs sont conscients du merdier que c’est là-dedans et que ça peut pas continuer comme ça. Tu rencontres des travailleurs dans les vestiaires qui
disent vivement qu’il y ait un Tchernobyl en France pour qu’on puisse faire
notre travail correctement. Tu te rends compte ? »
La réclame
Les mots du Doc
« RAS » est ce qu’on peut appeler un « film engagé » ?
A de H : Si on veut. Mais pas engagé dans le sens « pour » ou « contre » le
nucléaire, même si j’ai ma propre religion à ce sujet. Mais elle est là. Dire que
l’on est « pour » ou « contre » ne change rien à la réalité. Au contraire, ce sont
ces jugements qui font qu’on n’examine pas la réalité. Avec les jugements,
on évacue la démarche d’essayer de comprendre. On reste en surface des
choses. Dans tous les débats sur le nucléaire, il y a eu beaucoup d’échange
de dogmes, mais aucune volonté de comprendre le nucléaire en soi.
Je pense notamment à la campagne d’affichage présente récemment à
Bruxelles qui fonctionnait avec cette idée de « pour » ou « contre » le
nucléaire. Le fait est que l’on demande à l’opinion publique de prendre parti
sur des choses qu’elle ne connait pas, et qu’elle ne comprend pas. C’est dès
lors tout à fait ridicule de lui demander ce qu’elle en pense.
Le bruit de ces débats a relégué dans l’ombre les véritables acteurs du
nucléaire.
Une démarche citoyenne assortie d’un message.
A de H : Au départ, ce qui m’a motivé à réaliser ce film, c’est la peur. Du
moment où je me suis mis à faire se film, à agir, je n’ai plus eu peur.
Aujourd’hui, beaucoup de gens vivent dans l’angoisse de diverses choses. Le
message de « RAS », c’est que dès lors que l’on se lance dans l’action, la peur
disparaît.
Alain de Halleux
Scénariste, réalisateur, caméraman
Né en 1957.
Diplômé Sciences chimiques (nucléaire) de l’UCL avec
distinction
Diplômé en réalisation de film à l’INSAS avec distinction.
Prix de la vocation en 1983 pour ses travaux
photographiques pendant la guerre en Afghanistan.
De 1987 à 2005, nombreuses conceptions et réalisations
de spots publicitaires, films industriels, ba et clips.
Il a remporté 3 prix internationaux dans le domaine du
film d’entreprise.
Filmo :
FICTION :
Un deux trois j’ai vu cm CBA/
Fanny se fait un sang d’encre Aligators Films, RTBF/
Pleure pas Germaine lm Alligators films/
Prix du jury des jeunes et de la presse internationale à Gand, Prix du Public à
Manheim, Prix du meilleur acteur pour Dirck Rooft Hooft à Fort Loderdael (USA)
DOCUS :
No pour dire oui Le Sablier ; CBA, RTBF/
La trace L’Indien Productions ; Ministère de la Communauté Française, RTBF/
Barrières 6’ 35 mm L’Indien Productions , CBA, RTBF/
Où tu vas Mostra ,TEF, ULB, Commission Européenne
Kikiafékoi
Réalisation et image :Alain de Halleux
Image :Patrice Michaux, Ronnie Ramirez
Son et montage son :Thierry de Halleux, Jean-Jacques Quinet, Olivier Abrassart, Antoine Zeroudi
Montage image :Anne Lacour
Montage son et mixage :Damien Defays
Musique : Michel Berckmans
Production : Iota production