Questions au Réalisateur
D’où est venu ce désir de film ?
Je suis un disciple absolu de l’écrivain George Perec. Je pense que si Perec avait vécu jusqu’au moment où ont explosé les ronds-points en France, il aurait consacré quelques lignes à ces espèces d’espaces. C’était dans les années 80, c’est à peu près l’époque où Perec est parti, c’est l’époque où moi j’ai grandi. Ce qui m’a intéressé, ce n’est pas ce que l’on pourrait appeler l’extraordinaire mais l’infra ordinaire. Au fond, tout ce qu’on parcourt, tout ce qu’on arpente sans cesse sans le regarder, sans y penser. L’idée du film, c’est de s’arrêter là où on ne fait que passer. Et puis, peut être que le fait marquant de la transformation de la France de ces vingt ou trente dernières années, c’est la transformation de son paysage, de son territoire, l’apparition de ces équipements, de ces aménagements et les giratoires. Les ronds-points sont un peu l’acmé parfois absurde de cette histoire. Moi, j’ai voulu les interroger sous un angle libre et poétique pour éviter de se retrouver à ne faire qu’en pleurer.
Avez-vous eu le sentiment d’évoluer au cours du tournage ?
La démarche que l’on a eu (avec le chef opérateur, Jérôme Colin), c’était vraiment de s’immerger dans le monde de la route. On a tourné dans un camping-car, et on y a même dormi. On a joué le jeu de ne rester que dans l’espace routier, des parkings, des aires de supermarchés, d’autoroutes. Finalement, on a fait l’expérience qu’avait faite Cortazar de ne vivre immergé que dans cet espace de la mobilité, du déplacement. Et, au fond, on est renvoyé à soi-même puisque les repères autour de nous finissent par s’abolir. L’espace de cette mobilité, l’espace de ces ronds-points qui ne font que renvoyer à d’autres ronds-points, c’est un espace virtuel. C’est la préfiguration du monde des réseaux et de la mondialisation. Je pense que les ingénieurs routiers n’avaient pas vu cette dimension-là. Ce parcours renvoie à la question toute simple de : où vit-on ? Quel rapport sommes-nous capable d’instaurer à l’espace dans lequel nous circulons ?
Oui, en effet, vous partez d’un sujet qui pourrait être un peu anecdotique, un peu kitch et, au final, on en arrive à des pensées presque philosophiques sur notre vie…
Le point de départ du film, c’est le plus banal, le plus ordinaire. On voit bien que les logiques de rationalisation, les logiques d’équipements, nous aménagent un décor. On est dans l’espace d’un décor et c’est un peu ce parcours que le film propose. Une espèce de parcours qui nous invite à penser, à décrypter l’espace de notre quotidien. Ce sujet offre évidemment une dimension métaphorique et symbolique. Les ronds-points, je les ai pris un peu comme une métaphore. Métaphore d’un monde autour duquel on tourne, dans lequel on glisse, on ne fait que passer et qui, finalement, installe une espèce de rapport d’étrangeté au monde. Dans ces espaces ultra aménagés, on devient un peu des étrangers à l’espace que l’on parcourt et l’espace dans lequel on vit.
La réclame
Pierre Goetschel
Né il y a quelques années mais pas trop quand même quelque part, Pierre Goetschel s’est d’abord laissé embobiné comme assistant sur des longs-métrages de fiction pour le cinéma, avant de divaguer dans de nombreuses séries documentaires radiophoniques comme auteur et producteur pour « les Nuits Magnétiques » ou « Surpris par la Nuit » sur les ondes de France Culture. Déambulateur depuis une quinzaine d’années dans les espaces post-soviétiques où il a écrit et réalisé plusieurs sujets notamment pour la radio (Les silences de l’empire, Il était trois fois la révolution…), il s’aventure aussi sur des terrains plus personnels en collectionneur d’obsessions (Cherchez l’intrus, Voyage au sein des seins). Avec « Rond-Point », Pierre Goetschel continue désormais avec une caméra l’exploration de territoires improbables.
Le kikiafékoi
Réalisation : Pierre Goetschel
Production : L’œil sauvage