Note du réalisateur
De la campagne française aux paysages sinistrés de Lorraine, le chemin noir traverse la France d’aujourd’hui et celle d’hier.
La France, j’y suis bien. Je n’ai le passeport français que depuis peu, mais j’ai toujours aimé le son des cloches, comme celles de l’église du bourg, là-bas à un kilomètre à vol d’oiseau, dans ma cambrousse. Je suis européen, tout va bien. Je crains cependant que ce ne soit un peu plus compliqué.
Je croyais être tout entier ici, avoir inventé un avenir vierge, un chez moi séparé du passé, mais chez moi, je ne sais plus très bien ce que cela veut dire aujourd’hui. Né dans un pays à l’identité incertaine, l’Algérie, je vis en France où j’ai grandi et mes parents se meurent aujourd’hui là-bas… à l’étranger.
Comme si je me découvrais exilé (en serais-je un ?), le voyage au pays de naissance n’est pas un déplacement des plus simples ; ce n’est pas du tourisme. Il faut s’arracher pour traverser. Il y a de la couture à faire, il y a un fil secret à
suivre et ce fil m’emmène dans les paysages français de mon enfance. C’est là le cadre de l’essentiel des souvenirs que j’ai de mes parents. Le cadre est en miettes, les lieux de mon enfance méconnaissables. On a tué le travail qui unissait et les cités sidérurgiques de Lorraine sont orphelines. L’usine n’y est plus, mais sa lave brille encore dans mon esprit, comme une veilleuse. À sa lumière, j’ai vue sur tous ceux dont je suis.
Le monde a changé, mais les Arabes sont restés des « invisibles ». Attirés par la sidérurgie comme des papillons par la lumière, beaucoup s’y sont brûlés. Certains en sont morts. Je les vois, ces rescapés, réunis près du foyer de travailleurs où il n’y a plus de travailleurs.
Ces vieux Arabes ont l’âge de mon père.