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Génèse du film
Comme dans Traces, empreintes de femmes, son remarquable documentaire sur les femmes kassenas et leurs peintures murales, Katy Lena Ndiaye aborde le travail pictural de femmes africaines en s’intéressant d’abord à elles-mêmes.
La voici à Oualata, Mauritanie, pour un film coproduit avec la télévision mauritanienne. Les femmes mauritaniennes ont la réputation de s’affirmer et les trois femmes à qui elle donne la parole ne dérogent pas à la règle. Elles servent le thé et ça coule et ça gicle. Leur parole est libre. "Je suis une femme forte, convaincue d’être plus forte que beaucoup d’hommes". Mais une fois mariées, leur corps appartient à leur mari. Katy Ndiaye est indiscrète. Elle veut tout savoir. "Quand j’ai envie de lui, je lui dis, il s’exécute". Si une des femmes lui dit qu’elle finit par la fatiguer avec ses questions, les autres répondent sans détours, ce qu’une femme dit lorsque l’homme est absent à une autre femme qui lui parle amour et séduction.
Ocres rouges des murs, couleurs chatoyantes des tissus, paroles sensuelles des femmes, pétrissage des enduits colorés pour les murs...
C’est parce que sa caméra, qui reste volontiers fixe, se fait proche des gestes, des couleurs, des regards et qu’elle laisse à ces femmes le temps d’exister à l’écran que Katy Lena Ndiaye échappe à la belle image pour capter le rythme des êtres.
Dans cette contemplation sans commentaire, souvent photographique, des ocres, des architectures, des danses, de la décoration des murs ou de la peinture des mains au henné, l’esprit y va de sa propre humeur vagabonde, si bien que ces femmes du fond du désert nous deviennent singulièrement familières. Ni identification, ni folklorisation. Comme dans Traces, la musique originale du jazzman Erwin Vann apporte sa contribution pour garder la distance tout en préservant la sensibilité.
Le premier mariage est de la responsabilité des parents et la
fidélité une vertu, mais ces femmes ont une vie affective mouvementée. Elles vivent leurs peintures murales, motifs symboliques creusés au couteau sur du mortier frais, comme une naissance.
De nouveaux tarkhas embellissent les murs à chaque nouvelle fête ou pour annoncer le retour du mari. "Il y a beaucoup de pudeur derrière ces tableaux" : ils sont une façon de le séduire sans passer par les mots. C’est exactement ce que fait ce beau film, qui nous grave en mémoire la confondante grandeur d’une culture où l’essentiel se dit à travers des gestes d’art.
Olivier Barlet
Article de libération film
Dans « En attendant les hommes », un documentaire de 56 minutes, la réalisatrice sénégalaise Katy Lena Ndiaye donne la parole à trois femmes de Oualata, cette « ville rouge » à l’extrême Est de la Mauritanie qui défie les sables du désert. Dans ce coin perdu, la vie s’écoule comme un long fleuve tranquille. Ici, on ne vit pas scotché au chronomètre. La plupart des hommes sont partis chercher fortune dans les grandes villes du pays ou à l’étranger, laissant les femmes seules avec les enfants et les vieillards.
Ce qui est filmé ici est le quotidien de trois femmes. La première est très taquine, la deuxième s’exprime avec humour et la troisième est de nature plus réservée. Mais toutes trois parlent librement de leurs relations avec leur mari, avec les hommes en général, de leurs déboires, de leurs joies, de leurs déceptions..., bref, de la façon dont elles vivent dans cette immensité désertique.
Le spectateur est même quelquefois désarçonné par cette liberté de ton dans une société considérée (à tort ?) comme misogyne et où la femme donne l’impression de compter pour moins que rien. Pourtant, en décortiquant le discours des trois « héroïnes », on devine bien que celui qui domine n’est pas forcément l’homme.
Katy Léna Ndiaye se sert des couleurs des fresques comme des « plans de coupe » pour mieux faire passer le discours des femmes de Oualata qui attendent leurs hommes à l’approche de la fin du Ramadan.
La caméra, toujours fixe, donne au spectateur le temps de découvrir l’expression des visages et la beauté du paysage. Les plans, larges ou serrés, insistent sur des détails : des mains qui malaxent l’argile ou qui mélangent les couleurs ; des sourires volés ; des éclats de rires spontanés ; des expressions de visages si purs...
« En attendant les hommes », qui constitue le deuxième volet d’une œuvre artistique qu’elle veut engagée, nous restitue un univers que l’on a rarement l’occasion de voir sur les écrans africains « colonisés » par les super productions hollywoodiennes et les téléfilms sud-américains à l’eau de rose.
La réalisatrice
Katy Léna Ndiaye est plus connue comme présentatrice du magazine « Reflet Sud » sur la chaîne francophone TV5 Monde et sur la télévision publique belge RTBF.
Cette journaliste sénégalaise, qui vit et travaille à Bruxelles, est aussi une réalisatrice de talent.
Dans « Traces, empreintes de femmes », son premier documentaire, la réalisatrice et journaliste sénégalaise Katy Léna Ndiaye donne la parole aux femmes d’un village du Burkina Faso, près de la frontière avec le Ghana, qui ont la particularité de décorer leurs cases de fresques colorées, réalisées avec leurs mains.
Ce documentaire a été primé à plusieurs reprise :
– Grand prix du jury - Festival du film de Saint Denis - La Réunion 2004
– Mention spécial du jury - Festival Vues d’Afrique - Montréal 2004
– Mention spécial du jury - Festival du film d’Abidjan 2004
Production/ Diffusion : Néon rouge