Peuple et Culture Cantal
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Projection de documentaires, ici, là-bas ...

... cinéma d’ici et d’ailleurs ...
à l’atelier de Mariane Mangone, Bd des Hortes à Aurillac
Parure pour dames
Nathalie Joyeux, 2010, 55’

Au Petit Palais, en saris ou en jeans, décolletées ou voilées, douze femmes participent à « l’atelier de la désobéissance » proposé par la créatrice de mode Sakina M’sa. Inspirées par les peintures du musée et incitées par la styliste à se rebeller contre « le convenu », ces femmes, sans emploi, transforment de vieux habits donnés par Emmaüs. Un pantalon et une chemise deviennent une robe, une jupe connaît une nouvelle vie en veste... Pendant que les fils se tissent, les langues se délient. Tout en travaillant, Malika, Sara, Adriana, et leurs camarades se racontent à travers leurs vêtements. Au fur et à mesure, que leurs robes prennent forme, les femmes se dévoilent.

Cette foi c’est Marine Mangone, couturière-costumière-décoratrice, qui nous accueille dans son atelier.

Est-ce encore la peine de vous rappeler que bonne humeur et partage seront de la partie ?

Après la projection, casse-croute et discussions...

Des photos à défaut de vidéo

Le kikiafékoi

Réalisation : Nathalie Joyeux

Production : Les Films d’Ici - Maud Huynh /TV Tours

Pour faire un peu mieux connaissance avec l’esprit du film.....ci dessous un article de Catherine Rio, membre du comité de sélection du festival revient sur le film qui a reçu de la part du Grand Jury, le Grand prix de la sixième édition à Evreux. Elle nous fait partager ses émotions face à ce film, ses analyses quant aux parti pris d’écriture cinématographique de la réalisatrice... et souligne combien il est emblématique comme film d’éducation...

Il convient d’abord de revenir sur ce moment privilégié, plein d’émotion, vécu lors de la projection du film de Nathalie Joyeux « Parures pour dames » lors de la 6e édition du Festival du Film d’Education à Evreux en présence de la réalisatrice et de sa productrice. Le titre pourrait faire penser à un film s’adressant essentiellement à un public féminin…
Détrompez-vous ! Dans une salle comble, un public très diversifié – hommes, femmes, spectateurs de tous âges et de toute origine sociale- lui, ne s’est pas trompé. Les applaudissements enthousiastes après les quelques instants de silence chargés d’émotion à l’issue de la projection et la qualité du débat qui a suivi en témoignent. Enfin le jury, en décernant le premier prix à ce film, est venu confirmer la qualité cinématographique de ce documentaire de création mais aussi sa reconnaissance comme un grand film d’éducation.
En effet, c’est une véritable aventure humaine et poétique que vient nous conter la réalisatrice, faisant découvrir au spectateur des protagonistes qui deviennent de véritables personnages bien caractérisés, qui nous touchent, nous interrogent, et dont on va suivre l’évolution progressive. C’est une histoire directement reliée à l’Art qui tisse la trame du film alternant les séquences devant les œuvres picturales du Petit Palais et le travail dans un atelier de couture. La réalisatrice a choisi de s’éloigner de la narration classique en introduisant ces échappées poétiques vers la contemplation de grandes œuvres picturales qui nourrissent et grandissent l’histoire et les personnages puisque tout est vu et montré à travers leur regard.
Dans une discrète voix off très brève au début « il était une fois douze femmes, toutes sans emploi, elles trouvaient du soutien auprès d’associations… », humblement, elle affirme sa position d’auteur avant de s’effacer complètement en nous entraînant dans cette histoire de métamorphose, nous invitant à la rencontre de ces femmes qui vivent une expérience passionnante dans les « laboratoires textiles » proposés par la styliste Sakina M’sa. La voix off ne reviendra qu’à l’ultime fin du film pour sonner la fin d’une aventure passagère et rappeler la nécessité du retour à la réalité difficile de ces femmes sans emploi, la plupart en galère. Cependant, elles ne seront plus tout à fait les mêmes. En parallèle à la métamorphose des vêtements d’Emmaüs, on voit dans le film les relations et les personnes se transformer.
Grâce au vêtement, une complicité naît très rapidement entre tous les protagonistes, la conférencière du Petit Palais, la styliste et chacune des femmes dans son originalité. Tandis que le vêtement tisse des liens, la réalisatrice tisse la trame qui construit le film. Tandis que les couturières du groupe assemblent le patchwork qui sera leur propre création, Nathalie Joyeux réalise un « patchwork humain » par le tissage des cultures et des histoires personnelles différentes avec un fil d’or qui assemble, qui relie, c’est l’art. Le documentaire joue sur les rapprochements qui peuvent être réalisés entre la peinture d’hier et la mode d’aujourd’hui. En cinéaste avertie, elle a été attentive à la question du point de vue. En choisissant de filmer à partir du regard des personnages sur les œuvres, les tissus, elle parvient parfaitement à filmer l’échange, la circulation, le mouvement, la transmission : transmission de l’amour de l’art par la conférencière du Petit Palais, transmission d’un savoir-faire et d’une philosophie de la mode et du vêtement par Sakina M’sa, aux antipodes des standards et des marques, transmission d’histoires intimes de vêtements et de codes vestimentaires par les femmes du groupe aux origines multiples.
Pareillement à certains peintres exposés au Petit Palais, Sakina M’sa est en décalage avec la profession et la société dans laquelle elle vit. Comme Courbet, Sakina souhaite montrer de vraies femmes et pas uniquement les tailles mannequins imposées par la mode. Cette posture est à l’origine d’une des séquences fortes du film quand elle propose aux femmes du groupe de défiler pour sa prochaine collection. Face à cette séquence totalement insolite où on voit défiler au milieu des mannequins professionnels, les femmes du groupe ayant accepté la proposition, le spectateur est partagé entre l’admiration pour le courage de ces femmes aux mensurations éloignées des canons habituels et un certain malaise quand on les voit ainsi s’offrir aux regards du public et des photographes de mode. Mais ces « princesses » d’un jour authentiques et égales à elles-mêmes ont vécu positivement l’aventure et on peut penser que Nathalie Joyeux a eu raison de donner sa place à cette séquence dans son film.
Finalement, la construction ou la reconstruction de l’image de soi face au regard des autres est sans doute aussi un thème central du film. Chacune des femmes, à partir de son histoire, de sa personnalité, est à la recherche de son image, de son identité propre, de la possibilité de s’affirmer face au monde. La séquence finale de l’ exposition répond provisoirement à cette attente : toutes leurs productions sont exposées au regard du public, des autorités comme le Maire de Paris mais surtout de leurs proches, de leurs enfants. Quant à leur image, elle apparaît concrètement dans une superbe galerie de portraits valorisants qui nous renvoie à une autre lecture du film comme galerie de portraits éphémère qui pose la question fondamentale de cette société dans laquelle elles doivent se tailler une place. « J’existe », tel est leur cri revendiqué.
La réalisatrice filme superbement au plus près le geste des ciseaux entaillant la pièce d’étoffe créant des béances pouvant donner lieu à des situations comiques dans l’exploitation qu’elles oseront en faire et qui peuvent être d’une grande audace vis-à-vis de leur culture d’origine, comme laisser un sein ou un arrière-train sans le tissu censé les recouvrir…quelle belle image de désobéissance ! ou étant à l’image des fêlures, des « blessures mal recousues » que les protagonistes parviennent par là à dévoiler. Au cours de leur travail de couture, en réponse à Sakina et en miroir aux thématiques abordées par les tableaux admirés dans le musée, elles disent les liens intimes qui les unissent aux parures vestimentaires. Elles expriment comment le vêtement raconte leur rapport à la société : lien d’obéissance ou de désobéissance, d’affirmation ou de discrétion, de séduction ou de protection… leurs échanges disent la pudeur, elles interrogent authentiquement la féminité, directement ou par l’humour qui ne leur fait pas défaut et qui produit de véritables moments comiques tant dans les situations que dans les dialogues.
L’une d’elles, Adriana est beaucoup plus dans la contestation et révèle une profonde souffrance qu’elle affirme souvent dans la provocation. Au cours du défilé, derrière les mannequins professionnels formatés, elle revendique son plaisir, elle éclate de rire, joue de l’exposition de son corps en roulant des épaules et des hanches, pleinement vivante. A un autre moment, elle n’hésite pas à critiquer la médiatisation des ateliers d’insertion comme ceux de Sakina définie comme la « styliste au coeur d’or ». Elle dénonce politiquement ce qu’elle appelle le « samaritanisme » de telles actions et l’hypocrisie de la société qu’il sous entend. Ce personnage est très intéressant par le questionnement qu’elle introduit. Il s’agissait, dans l’économie générale du film, de lui trouver sa place.
Découper, entailler, trancher, assembler… ces consignes nécessaires données par Sakina pour la transformation du vêtement et l’objectif de la création de l’œuvre finale, ne sont-elles pas aussi celles qui président à l’écriture et au montage d’un film ? On sait combien le montage d’un documentaire de création implique des choix et donc des frustrations, combien il exprime la personnalité et les intentions du réalisateur. Nathalie Joyeux a monté son film et à travers cette histoire, nous parle aussi de cinéma.
« PARURES POUR DAMES » va donc bien au-delà de la simple médiatisation d’une expérience pédagogique intéressante. Il s’agit d’un film aux qualités cinématographiques incontestables, qui nous donne à voir une très belle expérience de solidarité et de médiation par l’art, posant en profondeur la question de l’insertion. Le spectateur sort grandi d’un tel film. « Comme chaque vêtement créé dans l’atelier à partir de plusieurs autres habits, nous sommes tous des petits bouts des autres » nous a dit Nathalie Joyeux.
Catherine RIO