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Les Terriens
D’Ariane DOUBLET, 1999 82’

Août 1999, dans un petit village de Normandie, l’éclipse totale du soleil approche. Les habitants se préparent à accueillir les touristes venus du monde entier pour assister à cet événement rare. Dans les champs face au spectacle, vont se rencontrer dans une ambiance amicale deux mondes aux attentes différentes.
Ce sont les préparatifs de ce rendez-vous dont va nous parler la réalisatrice, de la vie quotidienne des habitants du village, du passé et de la crainte d’un avenir incertain pour le monde rural aujourd’hui. Des portraits de personnages attachants, beaucoup d’humour habitent ce film d’Ariane Doublet qui connaît bien les paysages et les gens qu’elle filme.

Interview d’ARIANE DOUBLET

Cet entretien que nous nous permettons de reproduire a été réalisé pour l’émission de radio 35 MILLIMÈTRES le 09 novembre 2001 à Toulouse (au cinéma Le Cratère) par Emeline Rivoire et [une personne nous ayant demandé de retirer son nom de cette page]. Le site du cinéphile a aujourd’hui disparu.

Le Site du Cinéphile : Pourquoi avoir choisi de faire un documentaire plutôt qu’une fiction ?

Ariane Doublet : J’ai toujours du mal avec le mot "documentaire" parce que finalement je ne sais pas toujours très bien ce qu’il veut dire.

Sur l’affiche du film on a mis "un film", on n’a pas mis "un documentaire". Je pense que c’est un film, évidemment on a tourné avec les gens du village, je n’ai pas écrit les dialogues, et en même temps, j’ai quand même le sentiment que l’écriture du film est assez proche d’une écriture de fiction.

Dans le sens où c’est un film qui est vraiment découpé par séquences et où l’éclipse était au départ un alibi pour moi, un prétexte.

Cela faisait plusieurs années que j’avais envie de faire un film dans le village, mais j’avais un peu peur de la chronique. Il me manquait quelque chose et finalement l’éclipse a joué un rôle assez fictionnel pour moi, il y a l’attente de cette éclipse et une espèce de suspense qui monte et puis ça va jusqu’au jour de l’éclipse et on termine là-dessus.

Je trouve que les gens que j’ai filmé, qui sont mes voisins, se sont vraiment comportés comme des acteurs, ils ont vraiment apporté énormément au film, on s’est bien amusés à le faire.

Mais j’ai toujours du mal avec ce mot "documentaire" parce que j’ai l’impression que c’est un mot qui, pour beaucoup, est synonyme de quelque chose d’un peu poussiéreux, d’un peu ennuyeux. Ce n’est pas du tout mon sentiment bien sûr, j’aime beaucoup le documentaire.

LSDC : Et concernant le choix de tourner en vidéo, était-ce une question de budget, ou un choix

Ariane Doublet : Non, si j’avais eu les moyens de tourner en 35 mm, je l’aurais fait.

C’est un film qui avait un très petit budget au départ. Il n’était pas aidé par les télévisions, nous avions trois cent mille francs de budget, évidemment le film a coûté plus cher, rien que le kinescopage (le fait de passer de la vidéo en 35mm) nous a coûté deux cent mille francs. Donc c’est un film qui, à l’arrivée, a un budget d’un million de francs. Mais j’ai eu la chance d’avoir ce producteur qui a décidé de faire quand même ce film, il s’est endetté pour le faire et il est aujourd’hui à peine rentré dans ses frais.

LSDC : Était-ce un choix délibéré de tourner à la campagne ? Qu’est-ce qui vous a attiré ? Des paysages, des personnages ?

Ariane Doublet : C’est d’abord les gens que j’ai rencontré pour lesquels j’ai un grand attachement. Et puis, c’est un village où j’ai passé une grande partie de mon enfance, où je continue à aller souvent et je suis attachée à ces paysages. Je trouve qu’il n’y a pas assez de films qui sont faits sur le monde rural et j’avais souvent vu des films un peu tristes et un peu mortifères.

J’avais envie dès le départ que Les Terriens soit un film tourné vers la vie, je voulais montrer que ce sont des gens qui existent encore, qu’on a malheureusement déjà un peu enterrés, mais que selon moi ce n’était pas le cas. Le monde rural est encore multiple et c’est ce que j’avais envie de montrer.

LSDC : L’éclipse était donc un alibi pour tourner mais vous faites parler des gens dont le métier est lié à la nature, face à un événement naturel. De ce fait, était-ce plus important pour vous de donner la parole à ces personnes-là ?

Ariane Doublet : C’est plus qu’un alibi, c’est un révélateur. En même temps, j’avais envie que les gens parlent de leur rapport à la terre mais aussi à la lune. Il y a un maraîcher dans le film qui cultive ses salades en fonction du cycle de la lune, et j’avais aussi imaginé que l’éclipse allait attirer des citadins, des touristes dans le village. J’avais aussi envie de voir ce qui allait se passer à ce moment-là, il y avait un côté assez paroxystique de la nature… Je sentais qu’il me manquait quelque chose avant, je ne pouvais rêver mieux qu’une éclipse.

LSDC : Et comment avez-vous choisi les personnages du film ?

Ariane Doublet : Pour la plupart, je les connaissais, pas tous, il y a des gens que j’ai rencontré en faisant le film. Par exemple, il y a une grand-mère que j’ai rencontré au bout d’une semaine de tournage.

Philippe Olivier et sa femme sont vraiment mes voisins que je connais depuis un moment et que j’aime beaucoup donc j’avais commencé par les choisir eux. Leur ferme va certainement s’arrêter au moment de la retraite de Philippe Olivier, il ne transmettra pas son métier.

Et d’un autre côté, j’ai choisi une ferme qui a été, au contraire, reprise par le fils Francis qui a trente-cinq ans et qui a modernisé la ferme. Je n’avais pas envie de jouer l’opposition.

Il y a aussi un troisième personnage que j’aime beaucoup parce qu’au début du film, au conseil municipal, tout le monde pense que c’est l’instituteur du village uniquement parce qu’il a une barbe, des lunettes et bêtement les gens se disent qu’il n’a pas une tête d’agriculteur.

J’aime bien parce que ça renvoie le spectateur à une espèce d’a priori. Finalement ce sont des personnages très différents et c’est vrai que ce n’est pas encore – heureusement - un monde uniformisé.

Même si certains à la FNSEA (ndlr : Fédération Nationale des Syndicats d’Exploitants Agricoles) voudraient faire croire qu’il y a quelque chose d’absolument normatif. C’est un reproche qui a été fait au film.

Je suis allée le présenter à la chambre d’agriculture, il y avait tous les représentants de la FNSEA qui me disaient que le film n’était pas représentatif du monde agricole d’aujourd’hui.

Mais quand on fait un film, on ne cherche pas du tout à être représentatif, on se pose beaucoup de questions sur la représentation. On filme le Réel mais à partir du moment où on le filme, on le met aussi en scène, on se demande comment on va le représenter. Mais je n’ai jamais cherché à être représentative, en plus je crois qu’il est absolument impossible de l’être et je lutte contre ça. Pour moi, le représentatif est quelque chose de normatif.

Mais c’est un reproche qui m’a été fait dans certains milieux agricoles où on voudrait effectivement montrer une image de l’agriculture modèle.

LSDC : Vous filmez les paysans avec beaucoup de tendresse, beaucoup d’humour aussi, vous montrez une agriculture qui va disparaître et vous en filmez les gestes, le beurre, la traite des vaches également l’attachement à la terre, les animaux. Avez-vous voulu donner à ce film une valeur de témoignage pour montrer ce qu’a pu être cette agriculture à une époque ?

Ariane Doublet : Ce n’est pas "cette agriculture à une époque" car j’ai tourné en 1999 et j’ai filmé les choses telles qu’elles sont en 1999.

C’est vraiment un film que j’ai fait ici et maintenant, j’étais vraiment au présent des choses. On voit effectivement un des agriculteurs qui trait encore à la main, c’est vrai qu’ils ne sont plus très nombreux, par ailleurs on voit l’autre agriculteur dans sa salle de traite.

C’est sûr qu’en même temps le film sera une trace, je sais que le monde évolue et c’est comme ça dans tous les milieux. Le film deviendra une trace comme Farrebique de Georges Rouquier tourné en 1946 qui aujourd’hui est également un témoignage.

Pour en revenir aux gestes, j’aime beaucoup les gestes du travail, j’aime bien filmer les gens au travail et dans Les Terriens les gens ne sont jamais filmés les bras croisés à parler, ils sont toujours en train de faire quelque chose.

LSDC : Ce qui est propre aux paysans en général…

Ariane Doublet : Oui, mais ils passent aussi du temps chez eux, ils ne sont pas tout le temps en train de travailler, même s’ils travaillent beaucoup. Je voulais vraiment créer leur parole dans leur travail et dans leurs gestes.

...

LSDC : Vous les filmez avec tendresse et humour, est-ce ainsi qu’ils vous sont apparus ?

Ariane Doublet : Ceux qui sont dans le film, oui complètement. Ils ont été les premiers spectateurs du film. Ils m’ont fait énormément confiance au moment du tournage mais j’avais peur qu’il y ait tout d’un coup des malentendus et en fait ils se sont tout à fait retrouvés et sont appropriés le film. C’est ce qui pouvait arriver de mieux, c’est devenu leur film, ils en parlent vraiment comme de leur chose, ils sont allés le présenter, ça a été une aventure pour eux.

Ils sont dans le film comme ils sont dans la vie, je n’ai pas cherché à garder les moments où ils étaient drôles. Philippe Olivier est comme ça tout le temps, il rigole tout le temps même quand il dit des choses graves, que sa ferme sera un lotissement par exemple. C’est quelqu’un qui n’a pas d’amertume, qui a un certain fatalisme mais qui a par ailleurs une espèce d’aptitude au bonheur qui fait que ce sont des gens qui sont du côté de la vie.

LSDC : Est-ce que vous avez le sentiment d’apporter une sensibilité, un regard de femme dans votre façon de faire du cinéma ?

Ariane Doublet : C’est impossible de répondre à cette question. Même si c’est vrai par exemple que les personnages de femmes qu’il y a dans Les Terriens, j’y tenais vraiment absolument depuis le début. Les femmes de paysans ont très peu la parole donc je tenais absolument à ce qu’elles soient dans le film toutes les trois. Sinon, je ne sais pas…

Producteur/ Distributeur

Cara M -Quark Productions